Par: Admin
29 oct. 2024
Auteur : Kamala Baeni Jemima, Féministe, Activiste & Professionnelle de Santé Publique
«J’ai vécu huit ans d’aménorrhée, sans douleur ni saignement, et ce n’est qu’après ces longues années que mes règles sont revenues. J’ai commencé à saigner sans arrêt pendant deux mois, avec du sang accompagné de caillots», témoigne Furaha, utilisatrice de drogues injectables et mère de six enfants. Après la naissance de son plus jeune enfant, Furaha a commencé à s’injecter des drogues, prise au piège dans un cycle d'addiction. Comme beaucoup de femmes dans des situations similaires, son parcours illustre les graves effets des drogues injectables sur la santé reproductive. (Les noms ont été modifiés pour protéger la vie privée des femmes ayant partagé leurs témoignages.)
Les femmes utilisatrices de drogues injectables (UDI) en République Démocratique du Congo (RDC) sont confrontées à de nombreux risques sanitaires, notamment des complications gynécologiques, des risques obstétricaux et une vulnérabilité accrue à l'infection par le VIH. Une combinaison de seringues contaminées, de violences sexuelles et de l’accès limité aux soins de santé rend cette population extrêmement vulnérable.
Les drogues injectables perturbent les systèmes endocrinien et reproductif des UDI, provoquant aménorrhée (absence de règles), cycles menstruels irréguliers, fausses couches et grossesses à risque. Le stress physiologique causé par l’usage de substances, souvent associé à une mauvaise alimentation, aggrave les déséquilibres hormonaux, entraînant une détérioration générale de la santé reproductive.
Yvette, une jeune femme UDI de Goma, témoigne :
«J’ai eu ma première grossesse très jeune, mais mon enfant est décédé avant ses mille premiers jours. Depuis, cela fait quatre ans que je n’ai plus eu de règles. Je peux ressembler à une femme en apparence, mais à l'intérieur, rien ne me distingue d’un homme.»
L'absence prolongée de menstruations n'est pas seulement une altération physiologique; elle engendre aussi une détresse psychologique, renforçant le sentiment de marginalisation.
Les grossesses à risque sont fréquentes chez les femmes UDI, avec des issues souvent fatales en raison de soins inadéquats. Kavira, une autre utilisatrice, partage son expérience :
«J’ai connu plusieurs menaces d’avortement pendant ma grossesse, mais sans suivi prénatal ni accès à la désintoxication, il n’y avait aucun moyen de me protéger ni de protéger mon bébé.»
L'absence de services de santé appropriés expose ces femmes à des complications sévères, comme les hémorragies post-partum, exacerbées par l’usage irrégulier de drogues. Plusieurs femmes expliquent :
«Nous avons vu des amies perdre la vie en donnant naissance parce qu'elles n’avaient pas accès à la drogue après l'accouchement. Sans drogue, les saignements deviennent incontrôlables.»
En RDC, les hémorragies post-partum sont responsables de 38 % des décès maternels dans la province du Nord-Kivu (Ministère de la Santé du Nord-Kivu, 2022). L'absence de soins obstétricaux et la dépendance aux substances injectables aggravent ces décès, créant une situation alarmante pour cette population.
Le VIH est l'une des plus grandes menaces pour les femmes UDI. Le partage de seringues contaminées et les rapports sexuels non protégés augmentent considérablement leur vulnérabilité à l'infection. Selon l'ONUSIDA, les personnes qui consomment des drogues injectables ont 35 fois plus de risques de contracter le VIH que la population générale.
Les violences sexuelles accroissent également le risque d’infection. Une étude a révélé que les femmes confrontées à une dépendance sont plus souvent victimes de violences sexuelles, ce qui aggrave leur vulnérabilité au VIH (Fonds Mondial, 2018). L’absence de programmes d’accès à des seringues propres et de services de santé intégrés empêche une prise en charge efficace.
Le manque de prévention expose également ces femmes aux infections sexuellement transmissibles (IST). Malgré ces défis, très peu de centres en RDC offrent des services de réduction des risques, comme les traitements à la méthadone, les programmes d'échange de seringues, la prophylaxie pré-exposition (PrEP) ou les traitements antirétroviraux (ARV).
Face à cette situation, Repro Justice Congo organise des causeries éducatives avec les jeunes hommes et femmes qui s’injectent des drogues afin de promouvoir l’utilisation de seringues autobloquantes et stériles pour prévenir la transmission du VIH, sensibiliser à l’utilisation de préservatifs pour prévenir le VIH et les autres infections sexuellement transmissibles (IST), lutter contre les violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG), et encourager l’accès à la Prophylaxie Pré-Exposition (PrEP), aux traitements antirétroviraux, et aux services de santé reproductive.
Ces initiatives visent à réduire la propagation du VIH et à améliorer l’accès aux services de réduction des risques. Elles permettent également de diminuer la stigmatisation en intégrant les femmes dans des programmes de sensibilisation et de soutien psychosocial.
L'exclusion sociale et la stigmatisation des femmes UDI entravent considérablement leur accès aux soins de santé. Pourtant, le droit à la santé est un droit fondamental reconnu par la constitution de la RDC ainsi que par les instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le pays.
Les complications gynécologiques et les risques liés au VIH chez les femmes UDI en RDC mettent en évidence l'urgence d'une réponse de santé publique inclusive et adaptée. Leurs témoignages révèlent une réalité marquée par des soins insuffisants, la stigmatisation et des risques de mortalité élevés. Cependant, avec des initiatives communautaires ciblées et un engagement politique accru, il est possible de briser le cycle de l’exclusion et de bâtir une société plus inclusive.
3 Commentaire (s)
Philippe Ayubu
2024-10-29 18:37:51
Whaou quelle plume ,merci pour cette lutte chère Jemimah
Dr Clark BAHIZIRE
2024-10-31 14:28:17
Un bon article qui demande juste quelques inputs. Du courage en tout cas.
Gratien Lukogho Vagheni
2024-11-10 06:25:53
Formidable !